Matamore

Violence of Discovery and Calm of Acceptance

by Didier, 2001 (France)

Semblant de rien c’est ici le cinquième disque de Rafael Toral qui finit par être chroniqué en ces pages. Sorti en 2001, ‘Violence of Discovery and Calm of Acceptance’ comprend dix plages, dont l’enregistrement s’est intercalé entre 1993 et 2000. Comme l’indiquent les notes de pochette, tous les sons sont issus de guitares électriques, mais longuement dérivés à travers des effets, boucles, amplis et pédales de telle manière qu’on ne se les représente quasi jamais plus directement. Seule exception, un background noise sur la plage terminale enregistré en direct durant le webcast d’une mission de navette spatiale.

 

Comparé aux autres disques, celui-ci est de prime abord moins enveloppant, moins basé sur de longues drones profondes et vibrantes, et du coup moins directement enivrant. Ca tient aussi au fait que la moyenne de durée des plages est moins longue que sur les autres albums et que le travail de structure des morceaux semble plus évolué. Il s’agit dans un sens ici moins de composer des soundscapes que d’établir de vrais morceaux.

 

On sent peut-être chez Toral une envie de ciseler un peu plus loin ses compositions, faire un pas de plus vers l’écriture et la structure et un autre de retrait envers l’improvisation libre. Ca désarçonne un instant puis il faut bien accepter de se pencher, approcher la tête de la surface de l’eau et s’offrir aux beautés contemplatives, capturées entre les fils de Rafael Toral.

 

Le propos reste plus aérien, éthéré et glacé que jamais et l’on reste bienheureusement toujours à mille lieux de toutes dérives ambient ou new wave, grâce à une rigueur d’écriture et de sélection d’ambiance, rares. ‘Violence of Discovery and Calm of Acceptance’ semble tremper dans l’envie d’avoir voulu aller plus loin. A travers cela, Rafael Toral semble ici plus que jamais le lien imaginaire entre des gens comme Windy & Carl, Landing ou Yellow 6 d’un côté et de l’autre Kevin Drumm, Oren Ambarchi ou Fennesz. Quelque part un dénominateur commun mais surtout un pic himalayen intermédiaire, car plus que jamais il tient la dragée haute ici, défriche et nous emmène vers un autre part où l’on perd nos repères. ‘Violence of Discovery and Calm of Acceptance’ est la réussite de quelque chose de différent pour Toral, la preuve qu’il est un réel talent et non pas seulement une recette appliquée. Lancer le disque c’est comme démarrer une apnée. Il manque juste peut-être des sons de clochettes plus apparents à ‘Desirée’ pour en révéler toute la dimension bucolique. Des vapeurs de sons nous englobent, comme émis par de masses vibrantes, tournoyant en orbite autour d’elles-mêmes. Trois minutes trente très condensées où l’on se retrouve à la merci d’une foule d’esprits qui papillonnent autour de nous, curieux et inquiétants, mais qui finissent par nous laisser en paix, sans doute distraits par autre chose.

 

A la fois statique et planant, ‘Measurement of Noise’ reste plus fidèle à ce qu’on connaissait déjà de Toral, ces bourdonnements aériens et cette apparente sécurité qui nous mène à la somnolence et à la rêverie. On glisse alors vers un ‘Quiet Mind’ plus gazeux, aux nuages ouatés qui nous enveloppent. D’une intro toute en basses, on glisse vers les fractures lissées, mais encore apparentes sous la surface translucide, de ‘Maersk Line’. Une sorte d’appel à l’oxygène, la remontée vers la surface d’une plongée en apnée. ‘Liberté’ s’écarte aussi quelques peu des compositions habituelles, par quelques grésillements, ondes radios perdues et réverbérées dans l’espace ou bouillonnements diffus comme ceux que l’on rencontre au bord des failles volcaniques océaniques. Une jolie composition dont on ne prend vraiment conscience de la consistance que dans sa seconde partie où tout se met en place. Sur ‘Optical Flow’, Rafael Toral joue sur les cordes de sa guitare de telle manière qu’on pense presque à un piano électronique type Boards of Canada, cependant longuement réverbéré et passé au travers d’effets. Ca donne au morceau une petite allure de comptine légèrement psychédélique et des sonorités asiatiques, le tout couplé bien sûr à de profondes nappes sonores en drones. Le morceau s’éteint avec l’équivalent du son adouci de criquets.

 

Le thermomètre chute avec ‘Energy Nourish’ et on se retrouve à contempler en planeur des paysages gelés, recouverts de glace et de givre. Sur ‘Hay que trabajo me cuesta quererte como te quiero’, il retourne vers ses fixations de décollages tout en lenteur et longueurs, des pistes infinies, une vitesse qui augmente lentement, un horizon dégagé à 180°, une course onirique vers l’apesanteur et une certaine chaleur tropicale et euphorisante pour griser notre peur de perdre pied au sol. On se réveille soudainement, on vient de dormir debout quelque part, à attendre, assis au soleil, que quelque chose se passe. A l’écoute de ‘We Are Getting Closer’, on peut encore trouver des lointains échos de My Bloody Valentine, dans la douceur des sons et via une sorte de mélodie sous-jacente, quasi complètement effacée et qu’on s’amuse presque à recréer. C’est un peu aussi comme terminer l’ascension d’une colline ou d’un sommet, sortir de la forêt pour atteindre un promontoire où s’offre à nous le paysage. Et ce dernier paysage c’est justement cette mélodie digne de Kevin Shields qui refait surface sur la très belle plage terminale, ‘Mixed States Uncoded’, la seule où l’on sent vraiment la guitare et où l’on distingue quelques notes à travers le maëlstrom de nappes. Le disque se termine ici sur son sommet.

 

De prime abord, ‘Violence of Discovery and Calm of Acceptance’ semble moins accessible et évident que les disques précédents de Toral. Ceci est surtout du au plus grand nombre de plages et à leur moins grande durée ne facilitant pas la sensation de planer en continu. Néanmoins l’œuvre et le talent de Rafael Toral n’ont jamais parus aussi potentiellement larges qu’ici. Donc on ne saurait trop vous conseiller d’y faire un arrêt et on reste sur le qui-vive plus que jamais concernant la suite de sa discographie, histoire de contrôler ce que certaines graines en germination ici pourront donner à l’avenir.
Didier